Les Voisins

Le théâtre québécois est riche, même si la plupart de ses œuvres restent avec peu de notoriété. Il compte parmi lui des dramaturges connus, comme Benoît Brière, Marie Laberge, Gratien Gélinas et Robert Lepage, mais aussi des moins connus, qui sont beaucoup plus nombreux. Un dramaturgiste qui fait parti du clan des « connus », Claude Meunier, a co-écrit une pièce que j'adore, Les Voisins.

Si vous n'avez pas encore vu cette pièce, je vous la conseille à tout prix! Il y a tout d'abord la manière dont les propos sont amenés : la caractère de chacun des personnages se ressent vraiment dans la manière dont ils disent les choses. Par exemple, le personnage de Bernard, qui est posé et à la limite d'être grognon, a une manière assassine de dire les choses, souvent avec une remarque cynique ou égoïste, comme quand le jeune fonce dans sa haie, sans qu'il y ait de blessure, et que celui-ci lance, enragé, « t'aurais pas pu foncer dans le poteau à la place?! »... De la même manière, lorsque c'est Luce qui prend la parole, on ressent dans son ton de voix toute l'inintelligence, ou la blondeur, comme diraient plusieurs.

Deuxièmement, encore mieux que la manière dont sont communiqués les propos, les paroles eux-même valent de l'or! C'est d'un non-sens total qu'on amène la plupart des dialogues à avoir une signifiance. Par exemple, quand les trois hommes discutent dans la balançoire, remarquez chaque réplique et prenez-les une à une. Ces phrases ne veulent rien dire. Voyez : [...] « J'aime autant ne pas en parler! » [...] « Ma femme disait ça tout à l'heure... ça l'air qu'il fait beau, c'est effrayant! » « Aussi bien en profiter pendant que ça passe! » « Ouain!... Je vais dire comme ça va...! » « Je comprend donc! » [...] « C'est tranquille de ce temps-là, mais je me dis que ça va revenir. » « Ça donne rien de s'en faire avec ça! » « Surtout quand ça va mal... » « D'abord qu'on est heureux c'est ça qui compte! » « Énormément. » « On n'a rien pour rien, hein? » « Surtout pas des fraises...! » [...] J'aime beaucoup l'absurde, surtout quand celui révèle une douce parodie des discussions de clôture de la plupart des Québécois. En effet, on doit admettre qu'on reconnait beaucoup de nos répliques quotidiennes là-dedans!

Finalement, j'admire l'aspect historique de l'œuvre : Claude Meunier et Louis Saïa ont su représenter, dans cette pièce, une partie de l'époque. Une société patriarcale, comme le démontre l'admiration qu'a Junior pour son père et en parallèle le rôle que les femmes ont, bonnes quasi-uniquement à être ménagère et à faire la commande d'épicerie. Dans le rythme de l'interprétation, il y a aussi une certaine lenteur qui (comme Marie-Amélie, ma prof d'art-dram, l'a dit dans son cas) rend presque le spectateur mal à l'aise, car on comprend vite que la langueur des échanges révèle en fait le manque d'éducation des personnages, une réalité de plus qu'a bien illustrée les auteurs.

J'insiste, vous devez voir ce télé-théâtre! Ne serait-ce que pour constater vous aussi l'habile utilisation de répliques sans sens et le jeu vocal des comédiens, découvrir l'empreinte historique qui s'y trouve ou bien alors apprécier les musiques de transition, admirer les gestuelles ainsi que pleins d'autres facettes de la production que je n'ai pas abordé. Peut-être est-ce que ce sera la début d'une belle aventure au sein du théâtre québécois?